Est-ce possible ?

Sera-t-il bientôt possible de créer un cerveau humain en laboratoire ? Certains travaux scientifiques récents commencent à apporter des réponses à cette question.

Le cerveau est l’organe le plus complexe et le plus fascinant chez l’espèce humaine. Bien qu’il fasse l’objet d’intenses recherches depuis plusieurs décennies, il reste à l’heure actuelle de larges zones d’ombres dans son fonctionnement et surtout dans l’origine et le développement de nombre de ses pathologies. Cependant, l’étude du cerveau humain en condition réelle atteint rapidement de multiples limites, tant techniques qu’éthiques.

Une petite histoire

Afin d’enrichir nos connaissances sur la composition du cerveau et son fonctionnement, les biologistes ont donc dû développer des techniques d’études indirectes. Les scientifiques ont émis l’idée de créer des organes en laboratoire dès le début du XXème siècle. La découverte des cellules souches embryonnaires en 19811 a accéléré le développement du domaine. Une cellule souche est un type de cellule virtuellement capable, sur le papier, de se transformer en n’importe quel type de cellule de l’organisme si elle est placée dans des conditions adéquates. Par extension, leur utilisation rend donc envisageable de recréer un système spécifique contenant tous les types cellulaires de l’organe que l’on souhaite imiter. En 2001, l’avancée de la recherche a conduit à la mise en culture de précurseurs neuronaux à partir de cellules souches embryonnaires humaines2,3.

Cette réussite a néanmoins nécessité plusieurs décennies d’effort et la mise en culture des neurones eux-mêmes reste particulièrement délicate : en effet, ceux-ci ont besoin d’interactions nombreuses et complexes avec divers autres types cellulaires afin de refléter leur comportement naturel. De plus, les neurones matures ne se divisent pas ce qui rend impossible leur maintien en culture sur le long terme. Ces techniques ont néanmoins permis d’étudier, entre autres : les interactions entre les médicaments et les neurones, le développement neuronal et les anomalies du développement.

Malgré leurs nombreuses applications, ces techniques de culture présentent d’importantes limitations. En effet, les cellules cultivées sont très souvent du même type, par exemple, des neurones sensoriels uniquement4. Bien que la recherche ait fait de grandes avancées dans ce domaine, il reste rare de cultiver plus de trois types cellulaires différents en même temps. Dans tous les cas, ces cultures n’ont pas la complexité du tissu cérébral, composé de plusieurs dizaines de types cellulaires. De plus, l’organisation spatiale du corps des cellules et leur positionnement les unes par rapport aux autres sont des composantes importantes de leur dynamique qui ne peuvent pas être restituées dans un environnement de culture en 2D.

Dans ce contexte, la possibilité d’avoir à disposition en laboratoire un système se rapprochant le plus possible d’un cerveau complet suscite beaucoup d’enthousiasme.

Solutions potentielles

En 20075, une nouvelle technique a été développée et a entraîné une nouvelle accélération de la recherche en évitant le problème éthique posé par les cellules souches embryonnaires. En effet, cette technique permet de reprogrammer n’importe quelle cellule adulte en cellule souche. En 2005, un groupe de scientifiques a publié une étude6 démontrant l’élaboration d’une culture de neurone en 3D reflétant la structure en couches superposées du cerveau. En 2013, une autre équipe a révolutionné le monde de la recherche en établissant une culture 3D dans laquelle les neurones s’étaient différenciés et auto-organisés pour récréer différentes régions cérébrales7. Ces cultures 3D ont été appelées organoïdes cérébraux. Bien qu’utiles pour étudier les interactions entre les différentes cellules8,9, ou l’effet direct de médicaments sur leur biologie10,11, ces organoïdes ne peuvent en donner qu’une image partielle car ils ne sont pas intégrés dans un organisme entier. En effet, aussi complexes qu’ils soient, ils restent simples par rapport à un cerveau mature. Ils n’ont pas de fibre de matière blanche permettant la communication entre les différentes zones cérébrales et ils sont limités par leur petite taille (ils n’excèdent pas plus de quelques millimètres). De même, en condition normale, le cerveau a de nombreuses interactions avec les autres parties du corps, avec le système immunitaire et avec le système vasculaire. Pour pallier ces différentes limitations, les scientifiques ont émis l’hypothèse que la greffe d’organoïdes dans un cerveau déjà mature favoriserait le développement d’une architecture plus complète.

Dans une publication récente12, les auteurs ont supposé que la greffe d’organoïdes dans un cerveau encore immature pourrait leur permettre une meilleure intégration et croissance. Pour tester leur hypothèse, ils ont transplanté des organoïdes cérébraux dérivés de cellules humaines dans le cerveau de rat nouveau-nés. La plupart des organoïdes se sont greffés avec succès. En effet, ils ont montré des signes de bonne vitalité, par exemple, le développement de nombreuses connexions entre les cellules humaines et les cellules du rat. De plus, la plupart des cellules se sont différenciées en neurones matures possédant une activité électrique. Cette constatation a conduit les auteurs à s’interroger sur la capacité de ces neurones à répondre à des stimuli et à activer certaines fonctions cérébrales basiques des rats. Pour tester cette possibilité, ils ont touché les moustaches des rats tout en observant l’activité des neurones humains et observé qu’ils présentaient une activité électrique en réponse à la stimulation. Ils ont ensuite entraîné les neurones humains à influencer le comportement des rats. Pour ce faire, le rat a été récompensé avec de l’eau s’il se léchait pendant l’excitation des neurones humains. Après 15 jours d’entraînement, les rats ont montré un comportement de léchage accru lorsque les neurones humains étaient excités.

Néanmoins, bien que les résultats de cette étude soient intéressants, il reste une marge d’amélioration. Malgré le taux élevé de greffe de cellules et leur capacité a créé de nouvelles connexions, la stratification typique du cerveau n’a pas été observée. De plus, les organoïdes ont repoussé le tissu cérébral du rat au lieu de l’intégrer dans leur propre structure. Ainsi, leur intégration était incomplète et doit être améliorée pour étudier des fonctions cérébrales plus complexes. En outre, les cellules présentes dans les organoïdes n’étaient pas représentatives de la large variété des cellules du cerveau. L’ajout de cellules immunitaires pourrait améliorer l’exactitude de ce modèle et permettre l’étude de maladies impliquant le système immunitaire.

Les résultats de cette étude ouvrent de nouvelles perspectives dans le domaine du neurodéveloppement et de la recherche médicale. La capacité des organoïdes à s’intégrer suffisamment pour impacter les rats au niveau comportemental permet d’envisager l’utilisation de cette technique pour mieux comprendre certaines maladies, comme la maladie de Parkinson ou la schizophrénie. En effet, il serait possible d’implanter des organoïdes créés à partir de tissus de patients afin d’observer de plus près le développement de ces pathologies cérébrales13,14. De plus, cela pourrait accélérer le développement d’une médecine plus personnalisée. En testant des médicaments sur des organoïdes issus de patients, on pourrait sélectionner le plus efficace pour chaque patient au cas pas car. À terme, on peut même se prendre à rêver à l’utilisation des organoïdes pour remplacer des zones cérébrales endommagées, après un accident ou un AVC par exemple.

Ethiques, limitations, et l’avenir

Néanmoins, plusieurs problèmes éthiques sont soulevés par cette technologie. Le plus évident est l’utilisation et le sacrifice d’animaux. Compte tenu des préoccupations croissantes concernant l’utilisation des animaux dans la recherche, il est peu probable que cette l’approche par greffe représente l’avenir des neurosciences. Cependant, différentes approches sont développées en parallèle, notamment celle dite « organ-on-a-chip »15-17, qui permet de cultiver les organoïdes cérébraux sur une puce mimant une vascularisation classique et des interactions entre les tissus neuronaux et d’autres types de tissus18. Cette approche permet d’esquiver un autre potentiel problème éthique, à savoir le développement possible d’une « conscience » chez les chimères possédant des parties de cerveau humain. Bien que cela puisse être la première préoccupation chez beaucoup de gens, cette possibilité n’est pas encore envisagée sérieusement par la communauté scientifique, n’étant pas jugée crédible dans l’état actuelle de la science. Il faut se garder de faire un lien abusif entre des reproductions de zones cérébrales, même étendues, et des notions telles que la personnalité ou la conscience19. De plus, la notion de conscience est un concept complexe à définir et étudier chez l’espèce humaine, l’étendre à d’autres espèces animales paraît donc difficile à l’heure actuelle. Sans compter que la technique de greffe ne fonctionne pour l’instant qu’avec des organoïdes simples, ne remplaçant pas l’intégralité du cerveau animal d’origine et n’ayant qu’une interaction limitée avec celui-ci. La vision d’un rat possédant un cerveau voir, une pensée humaine, relève toujours (et heureusement !) de la science-fiction.

Un autre problème moins apparent de prime abord, est celui de la propriété des organoïdes et le consentement des individus. En effet, certaines personnes pourraient consentir à céder leurs cellules pour la recherche sans savoir l’utilisation réelle qui en sera faite. Il est fréquent que les gens fassent don de leurs cellules ou informations génétiques dans un but altruiste, afin d’aider la recherche médicale, sans avoir conscience que certaines compagnies pharmaceutiques peuvent ensuite les utiliser à des fins lucratives20. De plus, dans le cadre de création d’un organe complet, la question de la vente d’organes humains pourrait se poser. Est-ce que l’origine artificielle de ces organes sera considérée comme suffisante pour justifier leur commerce ? Ou est-ce que les mêmes lois que celles appliquées au trafic d’organe devront être envisagées ?

Bien que cette technologie soit encore immature, certains scientifiques se sont déjà emparés de ces questions éthiques21,22. L’objectif étant que nous puissions exploiter tous les bénéfices possibles de l’utilisation des organoïdes cérébraux tout en évitant ses dérives.

Sources

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  2. Reubinoff, B., Itsykson, P., Turetsky, T. et al. Neural progenitors from human embryonic stem cells. Nat Biotechnol 19, 1134–1140 (2001). https://doi.org/10.1038/nbt1201-1134.
  3. Zhang, SC., Wernig, M., Duncan, I. et al. In vitro differentiation of transplantable neural precursors from human embryonic stem cells. Nat Biotechnol 19, 1129–1133 (2001). https://doi.org/10.1038/nbt1201-1129.
  4. Wong NK, Yip SP, Huang CL. Establishing Functional Retina in a Dish: Progress and Promises of Induced Pluripotent Stem Cell-Based Retinal Neuron Differentiation. Int J Mol Sci. 2023;24(17):13652. Published 2023 Sep 4. doi:10.3390/ijms241713652.
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  6. Gaboyard S, Chabbert C, Travo C, et al. Three-dimensional culture of newborn rat utricle using an extracellular matrix promotes formation of a cyst. Neuroscience. 2005;133(1):253-265. doi:10.1016/j.neuroscience.2005.02.011.
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